Entraînement progressif vers l’Illumination

dans le bouddhisme tibétain

 

 

Fondamentalement, le bouddhisme n’est pas ritualiste. Il ne repose pas sur la propitiation des dieux ou sur des prières de pétitions adressées à un Etre suprême. La pratique de la sagesse, de l’éthique  et de la méditation « suffisent » pour atteindre l’Illumination.

 

En revanche, les différentes écoles bouddhiques reconnaissent l’utilité psychologique de certaines pratiques spirituelles dévotionnelles.

 

Si le bouddhisme Zen se concentre sur la méditation et se veut très épuré, la tradition tibétaine (Vajrayâna) est celle qui recours le plus à ces outils de transformation personnelle. Elle fait un usage extensif des répétitions rituelles (mantra), images circulaires de sable (mandala), offrandes (puja), contemplation d’archétypes divins (dhyani bouddha), etc. 

 

En guise d’exemple, je traduit et adapte ici la principale pratique quotidienne de la principale école du bouddhisme tibétain, l’Ordre des Bonnets Jaumes (Guéloug). Dans cette tradition, les récitations et exercices préliminaires sont suivies par des contemplations et méditations sur des thèmes précis, abordés de manière progressive. Ces Étapes sur la voie de l’Illumination (Lamrim) forment un cursus exotérique préliminaire à la tradition ésotérique.

 

 

 

 

 

I. Pratiques Préliminaires

 

1. Préparation

 

•Nettoyer les lieux

•Dresser l’autel

•Prendre posture

•Calmer l’esprit (concentration sur le souffle)

 

 

2. Prendre refuge

 

Nous prenons refuge, moi et tous les êtres vivants,

Auprès de l’Eveillé, sa Doctrine et sa Communauté

Jusqu’à ce que survienne l’Illumination.

 

 

3. Motiver l’Illumination

 

Par les vertus que la générosité suscite

Et par la pratique des autres perfections

Puissé-je m’éveiller pour la libération de tous

 

 

4. Générer les Quatre incommensurables

 

Que tous soient heureux.

Que tous soient soulagés de la souffrance.

Que personne ne soit exclu du bonheur.

Que tous soient équanimes, libres d’aversion et d’avidité.

 

 

5. Visualiser la Communauté des saints

 

Tu es devant moi, Ô Shakyamouni, l’Éveillé,

Entouré d’une myriade d’Éveillés et de Sauveurs,

Comme une lune dans le ciel constellé.

 

 

6. Oraison des sept supports méditatifs

 

Humblement, je prosterne mon corps, mon discours, mon esprit

Et présente une offrande réelle et symbolique.

Je confesse toutes mes actions malhabiles,

Et me réjoui de toutes vertus.

Ô vénérables, assistez-nous jusqu’à l’arrêt de la vie cyclique

Et enseignez-nous la sainte Doctrine.

Je dédie toutes vertus à l’Illumination suprême.

 

 

7. Offrir le mandala

 

Ce sol parfumé et jonché de fleurs

Dessine la grande Montagne, les quatre contrées,  le soleil et la lune

Il forme un univers bouddhique qui vous est offert

Pour accueillir tous les êtres dans le ravissement.

 

J’offre sans perte ni regret

Tout ce qui soulève l’avidité, l’aversion, et l’aveuglement,

Les amis, ennemis, étrangers, notre corps et nos plaisirs.

Veuillez accepter cette offrande, ô vénérables, et me guérir des trois poisons.

 

IDAM GOUROU RATNA MANDALAKAM NIRYATAYAMI.

[Je vous offre ce mandala serti de joyaux, ô précieux guides]

 

 

8. Oraison des étapes du Sentier

 

Le sentier débute par la confiance inébranlable

En mon aimable guide, source de tout biens.

Pétrissez-moi de cette idée

Afin que j’obéisse avec grande dévotion.

 

Cette vie humaine, avec toutes ses libertés

Est extrêmement rare et pleine de sens.

Imprégnez-moi de cette idée

Afin que je saisisse chaque instant.

 

Mon corps est une écume de mer

Dérivant et s’évanouissant si vite.

Après la vie suivent les conséquences karmiques

Aussi sûrement que l’ombre suit le promeneur.

 

Sachant et me rappelant cela

Accordez-moi la prudence

Pour éviter les actes néfastes

Et accumuler d’abondantes vertus.

 

Ils trompent, les plaisirs de la vie cyclique,

Ils sont insatisfaisants et douloureux.

Aidez-moi à œuvrer sans relâche

Pour réaliser la félicité de la parfaite libération.

 

Accordez-moi cette pure pensée

Pour que viennent la vigilance et la prudence

Et que je pratique assidûment les fondements de la Doctrine,

Les vœux de libération individuelle.

 

Alors que mes parents et moi

Etouffons dans la marée des existences,

Aidez-moi à développer la motivation de l’éveil

Afin que je puisse les rescaper.

 

Mais je ne peux m’éveiller,

Sans pratiquer les trois formes d’éthique.

Fortifiez donc ma résolution

Pour observer  les vœux messianiques.

 

En analysant la vérité profonde

Et en pacifiant mes distractions

Accordez-moi d’unir rapidement

La vue supérieure au calme stable.

 

Quand je serai un récipient purifié

Par les véhicules précédents,

Laissez-moi entrer dans le Vajrayana,

La pratique essentielle de la bonne fortune.

 

Ces deux accomplissements dépendent

De mon engagement et mes vœux sacrés

Aidez-moi à les comprendre pleinement

Et à les respecter,  fut-ce au prix de ma vie.

 

Par la pratique assidue des exercices méditatifs

Tel qu’enseignés par nos vénérables guides

Permettez-moi d’atteindre ces deux étapes

Qui sont la quintessence de la tradition initiatique.

 

Puissent tous ceux qui me guident sur la bonne voie

Et tous mes compagnons jouir d'une longue vie

Aidez-moi à surmonter complètement

Les obstacles extérieurs et intérieurs.

 

Puissé-je trouver le guide parfait,

Me délecter  de la sainte Doctrine,

Traverser les contrées et les sentiers

Pour atteindre l’état Sublime.

 

 

9. Réception des bénédictions

 

Des cœurs de tous les êtres vénérables

S’épanche un doux nectar,

Une vague lumineuse qui bénit et purifie.

 

 

 

 

II. Contemplation et méditation

 

 

[A ce stade, le pratiquant effectue la contemplation analytique de l’une des 21 étapes qui suive. Il peut ainsi générer un état d’esprit bien précis. Le tout est suivi d’une méditation concentrée sur cet état d’esprit généré.]

 

 

1.  Chercher de l’aide. Contemplation. Il faut garder l’esprit ouvert, être prêt à apprendre auprès des autres, et particulièrement auprès de ceux  qui sont déjà engagés sur le sentier de la libération. Seul un guide plus avancé que moi peut m’indiquer le chemin. Un tel guide peut m’aider à résoudre mes problèmes, éviter les pires états d’esprit, donner un sens à ma vie, et progresser vers la libération. Méditation. Je suis déterminé à suivre un guide.

 

2.  Utiliser sa vie à bon escient. Contemplation. La vie humaine est rare et précieuse. Il faut la consacrer à quelque chose de valable. Je suis privilégié de pouvoir pratiquer le Dharma. Les minéraux, animaux, végétaux, les personnes inconscientes, obsédées, tourmentées, ou sans accès au Dharma n’ont pas la même chance que moi. Méditation. Je ne gaspille pas ma vie, mais la consacre au Dharma.

 

3.  Saisir l’instant. Contemplation. La mort est inévitable. Le déclin commence à la naissance et se poursuit inéluctablement, à chaque moment, jusqu’à la fin. Certains  meurrent en bas-âge, d’autrent meurrent plus tard, de façon soudaine et imprévue. Des accidents mortel arrivent tous les jours. J’ignore quand je mourrai. Je pourrait mourir à cet instant même. S’attacher à une vie si éphémère n’a aucun sens. Mieux vaux saisir chaque instant, et le consacrer totalement au Dharma. Méditation. Je ne m’agrippe pas à ma vie éphémère, mais la consacre au Dharma.

 

4.  Échapper au pire. Contemplation. La pratique est cruciale afin de ne pas succomber aux trois pires états d’esprit. Elle permet d’éviter l’animalité d’une vie purement instinctive, inconsciente, dépourvue de sens, sans libre-arbitre, totalement conditionnée par les événements, pleine de peur et de brutalité. La pratique permet aussi d’éviter les faims inextinguibles, la domination par des appétits qui ne peuvent être satisfaits, les désirs irréalistes, la dépendance et l’obsession. Enfin, la pratique permet d’éviter l’enfer des grands tourments moraux et physiques. Méditation. J’évite les pires états d’esprits par la pratique du Dharma.

 

5.  Prendre l’antipoison. Contemplation. Les états d’esprit inférieurs sont produits par l’aveuglement, l’aversion et l’avidité. Pour me guérir de ces trois poisons, il y a trois antidotes. Je dois m’abriter auprès de l’éducateur parfaitement éveillé, le Bouddha. Je dois recourir au Dharma, la doctrine qui mène à la libération. Je dois m’appuyer sur mes compagnons de route et sur des modèles éveillés, unis dans la Sangha. Méditation. Je prend refuge auprès de l’Éveillé, sa Doctrine et sa Communauté.

 

6.  Éviter les conséquences néfastes. Contemplation. C’est moi qui suis la cause de mes pires états mentaux et de toutes mes souffrances. Mes actions maladroites inspirées par l’aveuglement, l’aversion et l’avidité produisent ma souffrance. En revanche, mes actions adroites inspirées par la sagesse, la compassion, et le détachement me conduisent inévitablement à la félicité. Méditation. J’évite les actions maladroites et leurs douloureuses conséquences.

 

7. Se détacher.  Contemplation. L’existence cyclique est pleine de souffrance. Je passe successivement des meilleurs aux pires états d’esprit, de la joie à la peine. J’ai souffert en naissant, je souffre en vieillissant et en tombant malade, et je souffrirai de la mort. À chaque instant je perds ce qui m’est cher, je subis ce qui me déplais, je suis privé de ce que je désire. Méditation.  Je me détache de l’existence cyclique.

 

8. Etre impartial. Contemplation. Sans l’équanimité, je serai incapable d'une vision altruiste impartiale car, sans elle, je tendrai à favoriser mes proches. Tous les êtres sont égaux en ce qu'ils souhaitent naturellement trouver le bonheur et éviter la souffrance. Il n'y a donc aucune raison d'avoir une attitude partiale ou discriminatoire envers eux. Il n'y a pas de justification morale à manifester des préférences lorsqu’il s’agit de soulager la misère. Je ne dois ressentir ni attachement, ni haine, ni indifférence envers qui que ce soit, ami, ennemi, ou parfait étranger. Méditation. Je suis impartial envers les proches, les étrangers et les ennemis.

 

9. Aimer les êtres. Contemplation. Dans ce monde interdépendant, tous les êtres vivants contribuent à mon existence, de près ou de loin. Même mes adversaires font partie de la trame de l’existence, et rendent ma vie possible. Je leur dois ma vie, mes joies, mon bonheur, et de riches leçons. Je leur dois autant qu’à mes parents. Méditation. J’aime tous les êtres comme des pères et mères.

 

10. Voir la bonté des êtres. Contemplation. Tous les êtres sont capable d’amour désintéressé pour leurs rejetons, ils sont capables d’actes altruistes. Je suis totalement dépendant d’eux. Mes besoins quotidiens sont tous comblés grâce à la générosité d’autrui. Ma demeure, ma nourriture, mes vêtements, mes médicaments, mon instruction proviennent des autres. Tous les êtres contribuent au bien-être de tous les autres, de façon plus ou moins directe. Méditation. Je suis reconnaissant de la bonté de tous les êtres.

 

11. Aimer les êtres comme soi-même. Contemplation. Je dois me mettre sur le même pied d’égalité que les autres, et les aimer comme moi-même. En effet, tous les êtres sont bons pour moi. De plus, tous les êtres partagent ma condition. Comme moi, ils cherchent le bonheur et craignent la souffrance. Finalement, je ne suis qu’une seule personne parmis d’innombrables êtres. Comment pourrais-je chérir ma petite personne et négliger tous les autres ? Ma souffrance et mon bonheur sont insignifiants en comparaison de la souffrance et du bonheur de tous les êtres. Méditation. J’aime tous les êtres comme moi-même

 

12. Inconvénient de l’égocentrisme. Contemplation. C’est l'attitude égocentrique qui est à la source de toutes mes misères. Quels que soient mes malheurs, c'est cetet attitude que je dois blâmer. Ma suffisance naturelle me fait accuser les autres de mes misères. Mais j’ai beau rejeter la responsabilité sur les autres, le fait est que mes déboires sont dûs à mon attachement obstiné pour l'égo. C’est l’égocentrisme qui m’entraîne à des actions physiques, psychologiques et discursives maladroites. Méditation. J’abandonne l’égocentrisme.

 

13. Avantages de l’altruisme. Contemplation. D’abord, l'altruisme suscuite l’amitié, la vénération , le respect. À la mort d’une personne bonne, généreuse et soucieuse du bien d'autrui, beaucoup portent son deuil. Lorsque j’œuvre pour le bien de tous, mes intérêts personnels en profitent indirectement. Considérant l’infinie bienveillance des autres êtres à mon égard, l’altruisme n’est qu’une façon de payer ma dette et de témoigner de ma gratitude. Finalement, la compassion universelle est le seul moyen d’atteindre la félicité de la Libération finale.  Méditation. Je chéris tous les êtres afin de contribuer à leur bonheur et au mien.

 

14. S’échanger avec les autres. Contemplation. L’égocentrisme cause toutes les peines, l’altruisme mène à la félicité. Je dois donc échanger mon égo avec les autres êtres, et me dédier totalement à leur bien-être.  Méditation.  J’échange l’amour de l’égo pour l’amour de l’autre.

 

15. Grande compassion. Contemplation. Je réfléchis à la manière dont les êtres vivants subissent l'expérience de la souffrance. Les êtres comblés, envieux, normaux, inconscients, obsédés et tourmentés souffrent tous à des degrés différents, et de manière différente. Méditation.  Je visualise un être vivant en proie à de graves tourments, j’imagine son état mental, puis je souhaite ardemment qu'il soit en soit délivré.

 

16. Prendre. Contemplation. Il ne suffit pas de souhaiter la libération de tous les êtres. Il faut encore que je m’engage personnellement à agir. Il faut que j’aie l’ardent désir d’assumer leur fardeau. Méditation. Je prend sur moi la souffrance de tous les êtres [visualiser joyeusement une fumée noire et l’inspirer].

 

17. Bienveillance. Contemplation. Les êtres vivants ont beau désirer le bonheur, il leur fait défaut. Ils ont beau fuir la souffrance, ils la subissent. Leurs plaisirs sont éphémères et deviennent douleur, leurs amours se changent en solitude. La vie cyclique est fondamentalement insatisfaisante. Méditation. Je souhaite ardemment que tous les êtres expérimentent le vrai bonheur.

 

18. Donner. Contemplation. Puisque je souhaite le bonheur de tous les êtres, il me faut agir en ce sens. J’offre le bonheur authentique aux êtres qui vivent des états d’esprit agréables ou désagréables. Je prend sur moi toutes leurs souffrances, et leur cède tout mon bonheur, mes richesses et mes vertus accumulées.  Méditation. Je prend la souffrance des êtres [visualiser joyeusement une fumée noire et l’inspirer], et je leur donne ma joie [expirer joyeusement et visualiser une exhalaison blanche qui emplit l’univers].

 

19. La suprême motivation de l’éveil. Contemplation. Je me suis engagé à libérer tous les êtres,  mais comment pourrais-je y arriver, si je ne parviens pas à l’illumination ? Seul un éveillé peut protéger tous les êtres et leur montrer la voie de la félicité. Méditation. Je veux m’éveiller pour sauver tous les êtres.

 

20. Calme Stable. Contemplation. Pour m’éveiller, je dois me détacher de l’égocentrisme, ce qui demande une expérience directe de l’Interdépendance suprême. En retour, cette expérience exige un état méditatif de calme stable. Sans le calme stable, point de miracles, de détachement et de motivation d’éveil. Méditation. Le calme stable est le couronnement des neuf degrés d’absorbsion méditative. Il est obtenu en se concentrant fermement sur un objet, et en surmontant les obstacles de la paresse, l’oubli, l’angoisse, l’excitation. La concentration est fortifiée par la confiance, la détermination, l’effort, la souplesse, l’attention, la vigilance, l’application et la non-application.

 

21. Vision supérieure. Contemplation. À partir du calme stable, il est possible d’atteindre l’essence de la sagesse. Je peux alors percevoir l’Interdépendance suprême, réaliser que toutes choses sont vides d’essence. Tout est interdépendant et en perpétuel devenir. Tous les phénomènes n’existent que comme convention. Rien n’existe de façon inhérente et perpétuelle. Méditation. (1) Évoquer un moment ou mon égo s’est manifesté de façon exagérée, puis de façon normale. Réfuter l’existence inhérente de mon égo. Il n’est pas le corps, ni l’esprit, ni le corps et l’esprit, ni séparé du corps et de l’esprit. L’égo est introuvable, il est vacuité. (2) Évoquer un moment ou mon corps s’est manifesté de façon exagérée, puis de façon normale. Réfuter l’existence inhérente de mon corps. Il n’est pas une partie, ni séparé de ses parties. Le corps est introuvable, il est vacuité.

 

 

 

III. Dédicace

 

Grâce aux vertus que j’ai accumulées

Par la pratique du sentier,

Que tous les êtres vivants

Aient aussi la chance de le pratiquer.

 

Que tous accèdent

À la joie et au contentement

Que tous atteignent  l’Illumination

Pour que cesse enfin l’existence cyclique.

 

 

 

IV. Conclusion

 

•Application de la leçon du jour à la vie quotidienne

 

 

 

Retour au menu principal